Les détracteurs de la psychanalyse lui reprochent de s’appuyer sur une théorie centenaire et donc forcément dépassée. Il s’agit bien sûr d’une idée fausse propagée par des gens qui, en réalité, ne connaissent pas la psychanalyse, même si certains ont lu Freud. Il faut reconnaitre que les psychanalystes eux-mêmes, en se déclarant freudiens, lacaniens ou d’une autre obédience, donnent une image périmée de leur pratique. Que dirait-on si des académiciens se déclaraient moliéristes ou hugoliens ? Un amoureux de la langue française parle la langue d’aujourd’hui évidemment, mais ça ne l’empêche pas d’admirer la langue de nos grands écrivains du temps passé et de connaitre les apports qu’ils ont fait à la langue.
C’est exactement ce qui se passe en psychanalyse. Sans renier les travaux et les découvertes des classiques, il faut lire Freud ou Lacan de manière critique, simplement parce que nous avons changé d’époque. Il faut d’ailleurs bien être conscient que les modèles proposés aujourd’hui seront critiqués à leur tour ultérieurement par d’autres. Ainsi progressent les sciences, y compris les sciences humaines, et la psychanalyse n’y échappe pas.
En psychanalyse comme ailleurs, la position dogmatique n’est pas acceptable. Notre société évolue dans son organisation, ses principes, ses mœurs. La science nous apporte des informations nouvelles. Ainsi, la neuro-imagerie nous montre les modifications observées au niveau du cerveau lors de certains affects, tandis que la neurobiologie nous montre en même temps la production de neurotransmetteurs dans les mêmes circonstances.
Par exemple, l’image du père au XXIe siècle, dans nos sociétés occidentales, où les familles se recomposent, où des enfants peuvent être élevés dans des familles monoparentales ou des familles homosexuelles, ne peut certainement pas être la même que celle définie par Freud. Cela ne veut pas dire que Freud s’est trompé. Il a simplement construit son système en tenant compte de la société dans laquelle il vivait.
C’est pourquoi la psychanalyse moderne ne peut pas être doctrinaire et rigide. Elle doit suivre les évolutions scientifiques et sociales de son époque et faire évoluer son discours en fonction de ses acquis. La psychanalyse ne doit pas être refermée sur elle-même mais, au contraire s’ouvrir vers les autres sciences en général et celles du « psy » en particulier.
Le grand psychiatre et psychanalyste Boris Cyrulnik illustre cela, avec humour dans un de ses livres. Alors qu’il participait à un congrès qui réunissait entre autres, des psychanalystes et des psychiatres, il s’est amusé à attribuer à Freud une citation qui avait été en fait prononcée par un psychiatre très connu. Les psychanalystes ont applaudi tandis que les psychiatres ronchonnaient. Pour faire bonne mesure, il a ensuite fait exactement l’inverse et, évidemment, les réactions ont été également inversées. Il voulait simplement expliquer que la connaissance ne peut avancer que si les différents spécialistes se parlent sans arrière-pensées.
Beaucoup de patients de psychanalystes prennent des médicaments, prescrits par leur médecin (antidépresseurs, anxiolytiques, neuroleptiques), qui modifient l’humeur et qui vont modifier la façon dont le patient va réagir à la psychanalyse. Le psychanalyste doit forcément en tenir compte.
Il y aurait encore beaucoup de choses à dire sur l’évolution de la psychanalyse moderne, mais cet article risquerait d’être trop long. Nous aurons l’occasion d’y revenir ultérieurement.
Pour terminer, je réponds donc à la question posée : la psychanalyse est-elle une science moderne ? La réponse est évidemment OUI pour toutes les raisons données ci-dessus et bien d’autres dont nous parlerons sans doute plus tard.
L’image du psychanalyste ringard qui se regarde le nombril en rêvant de Freud est une image aussi surannée qui ceux qui la propagent. La psychanalyste, sans renier son passé, est délibérément ancrée dans son époque et s’enrichie continuellement des connaissances nouvelles qui se proposent à elle. C’est sur cette base commune à toutes les professions du « psy » que se construit l’avenir de la psychanalyse.
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