Violences sexuelles & justice : la réparation ?
Posté le 29/09/2023
Les violences sexuelles, quel que soit l’âge de la victime, entrainent de graves désordres psychologiques qu’il faut prendre en charge le plus rapidement possible.
Dans un passé pas si lointain, les victimes étaient souvent désignées comme des coupables (elles l’ont bien cherché) et priées de se taire, notamment par leur propre famille (Tu veux nous faire honte devant les voisins ?). Aujourd’hui la tendance s’est inversée et toute personne désignée comme un agresseur est vouée aux gémonies par l’opinion publique avant même que la justice ait pu se prononcer.
Toute violence sexuelle doit obtenir réparation et, entre autres, les psychanalystes jouent pleinement leur rôle dans ce processus. Il va falloir aider la victime à parler, à surmonter la honte ressentie et à parcourir le long chemin qui amène à la réparation. Mais de quelle réparation parle-t-on ? S’agit-il de la réparation du corps qui a été souillé, de celle du psychisme, de celle proposée par la justice par la sanction (éventuelle de l’agresseur) ? Evidemment il va falloir s’occuper de tout cela ce qui sous-entend que la prise en charge devra être multi disciplinaire.
En effet, on peut considérer la victime comme un polytraumatisé qui va développer en conséquence une souffrance chronique qui nécessite une prise en charge à long terme et surtout personnalisée. Nous aurons l’occasion de revenir ultérieurement, dans un autre article, sur la prise en charge psychologique des victimes et des moyens permettant à celles-ci de se réparer.
Je souhaiterais ici évoquer plus spécifiquement le rôle de la justice. Certains considèrent que le passage par la justice est indispensable à la réparation, d’autres pensent exactement l’inverse. La première étape est bien sûr de déposer une plainte auprès des services de police ou de gendarmerie. Dans l’idéal cette plainte devrait être la plus précoce possible après les faits afin de permettre le recueil d’éventuels indices. C’est rarement le cas car les victimes ont souvent de grandes difficultés à parler. Or justement, il va falloir raconter aux enquêteurs, répondre à des questions parfois très intimes et donc revivre en quelque sorte l’évènement. Et, si la plainte n’est pas classée sans suite, il va falloir recommencer devant le juge d’instruction, être confronté à l’agresseur, puis plus tard encore raconter devant le tribunal, ses juges, ses jurés et le public. L’avocat de la défense, c’est son rôle et c’est normal, essayera de minimiser les faits et de faire trébucher la victime. Il faut être bien conscient du fait que la souffrance exprimée par la victime n’est en aucun cas une preuve de la culpabilité de l’agresseur. Nous sommes dans un état de droit et le tribunal a besoin d’éléments de preuve pour pouvoir condamner un accusé qui est présumé innocent et qui a le droit à la défense.
Il faut se poser honnêtement la question de ce qu’on attend de la justice. La vengeance ? Non, la justice n’est pas la vengeance. « La vengeance déguisée en justice, c'est notre plus affreuse grimace. » a écrit François Mauriac. La punition ? Ou plus exactement la sanction de celui qui a commis un crime, avec l’espoir que cette sanction lui permette de prendre conscience de l’horreur de la faute commise. La réparation ? Le fait d’avoir été reconnu comme victime par la société et de savoir que l’agresseur a été sanctionné peut apporter un réel soulagement, sans aucun doute.
Chaque victime doit savoir qu’aller en justice c’est s’exposer aux regards des autres mais c’est aussi demander une reconnaissance qui sera acquise même en cas de classement sans suite. Il faut savoir que le classement sans suite n’est pas une dénégation de la réalité des faits mais un simple constat que la justice ne dispose pas des éléments nécessaires à la poursuite. Cela ne veut pas dire qu’on ne croit pas la victime, mais qu’en l’état, un procès sans élément aboutirait forcément à un non-lieu qui serait ressenti comme un échec pour la victime.
En fait, pour résumer tout ce qui précède, le passage par la justice est nécessaire, si la victime le souhaite. Il peut procurer un réel soulagement, qu’il y ait condamnation ou pas. En revanche, une victime a parfaitement le droit de ne pas vouloir s’exposer en justice et cela n’interdit pas la réparation.
Quel que soit son choix, une victime de violences sexuelles doit être accompagnée sur le long chemin qui mène à la réparation. S’il y a justice l’avocat est bien sur un maillon indispensable. Mais, comme cela a été évoqué plus haut, une victime est un polytraumatisé qui nécessite une prise en charge pluridisciplinaire. Le psychanalyste doit être à ses côtés avant, pendant et après l’action en justice. Il peut même, avec l’accord de la victime bien sûr, coopérer avec l’avocat.
Entre la mise en œuvre d’une justice traditionnelle et son absence, il existe, depuis quelques années une troisième voie : la justice restaurative. Il s’agit, en quelque sorte, d’instaurer un dialogue entre les victimes et les auteurs de faits. Il s’agit d’une procédure plus axée sur la réparation que sur la sanction, selon les cas par le biais d’un dialogue direct, d’échanges de lettres, de vidéos, etc… Dans certains pays elle constitue effectivement une alternative à la justice traditionnelle. En France, elle ne peut intervenir qu’après la justice pénale, à condition que les auteurs aient reconnu les faits, et ne donne lieu à aucune remise de peine. Il peut s’agir soit de rencontres entre détenus et victimes concernés par une même infraction soit, plus directement entre une victime et son agresseur. Ce procédé permettrait aux victimes de retrouver une certaine forme « d’agentivité », c’est-à-dire, selon la définition donnée par le psychologue Albert Bandura, la capacité à être un agent actif de sa propre vie, en exerçant un contrôle et une régulation de ses actes.
Toute victime de violences sexuelles dispose donc, théoriquement, de la possibilité de demander l’action de la justice, malgré toutes les difficultés évoquées plus haut. Quel que soit le moyen utilisé pour obtenir réparation, il doit être accompagné par un soutien psychologique qui (comme la justice d’ailleurs) peut durer plusieurs années.
Tout au long de cet article j’ai utilisé, à de très nombreuses reprises, le terme de « victime ». La répétition de ce mot est intentionnelle car ce vocable est celui par lequel se désignent celles et ceux qui ont subi des violences sexuelles mais aussi l’expression du regard des autres : je suis une victime, vous êtes une victime. Or l’objectif est de sortir de cet état, de reprendre confiance en soi, de faire en sorte que le regard des autres ne soit pas que l’expression de leur compassion. Il s’agit bien de recouvrer le pouvoir sur soi, de vivre normalement, malgré la cicatrice laissée par le traumatisme de l’agression. Pour atteindre cet objectif tous les moyens sont possibles : la justice, nous venons d’en parler, l’écriture, l’investissement dans une cause, etc.. Il n’y a pas de recette miracle, mais ce qui est certain est que, quel que soit le moyen, le soutien psychologique par un professionnel est indispensable.
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