Dans ce siècle où on se plaint régulièrement du manque de communication entre les individus, semble-t-il (et paradoxalement) à cause des réseaux sociaux, il est intéressant de constater que nombreux sont ceux qui souhaitent communiquer leur singularité. Ainsi, après les victimes d’incestes, de viols, d’agressions sexuelles, les « malades mentaux » se signalent à nous.
Comme ils ont raisons tous ces bipolaires, ces schizophrènes, ces dépressifs, bref tous ces malades qui souffrent en silence, sans oser parler de leur maladie de peur d’être considérés comme des fous. Or, c’est bien connu les fous sont dangereux ! Ils font peur ! D’ailleurs, il n’y a pas si longtemps que ça, on les enfermait pour éviter qu’ils dérangent une société qui se voulait bien organisée, bien formatée ; il est certain que beaucoup de gens pensent, par ignorance et par bêtise, qu’on devrait continuer. C’est tellement confortable d’essayer d’éliminer la différence, parce qu’on a peur de ce qu’on ne connaît pas. Alors, bien sur, on sait qu’il y a des gentils fous mais, comme on ne sait pas les distinguer des autres, on préfère les mettre tous dans le même sac. «Tuez les tous, Dieu reconnaîtra les siens », aurait dit Arnaud-Amaury, légat du pape, au siège de Béziers, lors de la croisade contre les Albigeois. Les choses ont-elles évoluées ? J’espère que oui, même si des imbéciles continuent à proférer ce genre d’inepties. Il n’y a pas si longtemps certains voulaient isoler les malades du Sida dans des sidatoriums ! On pourrait continuer encore longtemps à dérouler la liste des prétendus ennemis de la société : les homosexuels, les transgenres, les drogués, les alcooliques, les étrangers et bien d’autres.
Heureusement, les personnes touchées par une maladie mentale osent enfin dire qui elles sont. Lasses de se taire et de se cacher, elles révèlent leurs souffrances et montrent au monde ébahi qu’on peut avoir une maladie mentale et être parfaitement intégré dans la société, avoir un travail et des relations sociales, une famille. Rien ne les distinguent des autres (vous savez : les gens normaux). Ils ont simplement une maladie au même titre que d’autres sont cardiaques, diabétiques ou handicapés physiques.
Car c’est cela qu’il faut retenir : le fait d’être porteur d’une pathologie mentale ne fait pas de vous un individu anormal. La meilleure preuve est sans doute que les connaissances de ceux qui révèlent leur pathologie tombent des nues en découvrant cette information donnée par leur ami, leur collègue de travail, leur voisin, qu’ils n’avaient jamais soupçonnée auparavant. Le monde découvre avec stupeur que ces personnes sont parfaitement conscientes de leur pathologie, ont appris à la gérer, bénéficient de traitements adaptés (médicamenteux et psychologiques) et, en dehors de certaines périodes particulièrement difficiles où se manifeste une exacerbation de la maladie, vivent tout à fait normalement et, surtout, ne présentent généralement aucun danger pour leur entourage et la société.
Il paraît que la santé mentale est une grande cause nationale : tant mieux ! Il est urgent que la prise en charge de ces enfants, de ces adolescents et de ces adultes soit améliorée. Mais comme d’habitude, les médecins-psychiatres chargés du diagnostic, les services d’hospitalisation sont insuffisants. Mais il ne suffira pas d’augmenter le nombre de médecin et de place d’hospitalisation pour régler le problème. La maladie mentale est une maladie au long cours, c’est à dire chronique nécessitant une prise en charge sur de nombreuses années. Cette prise en charge est évidemment pluridisciplinaire. Le médecin ne peut pas tout faire car, au-delà du diagnostic et de la mise en place d’un éventuel traitement médicamenteux ou d’une hospitalisation, il est indispensable qu’il y ait un suivi et un soutien psychologique au long cours. C’est dans cette phase là que la psychanalyse prend toute sa place, notamment dans sa dimension psychothérapie analytique.
Si vous aimez les histoires de fous, je vous invite à voir (ou à revoir) un film de Philippe de Broca (1966) : « Le roi de cœur ». On y voit les pensionnaires d’un asile investir un village abandonné. Chacun y trouve sa place selon ses goûts et ses aspirations, et une société s’ organise et se normalise. Il s’agit bien sur d’une vision poétique mais elle permet de comprendre que ce qui nous paraît « normal » est somme toute très relatif et dépend du contexte.
Aujourd’hui, fort heureusement, on ne voit plus de fou se prenant pour Napoléon. Mais, on constate malgré tout que nombreux sont ceux qui se verraient bien Président de la République. Nous voulons croire qu’ils ont toute leur raison.